Par Kelly Moon///
En cette fin d’octobre 2025, l’Irlande a franchi un cap historique. Catherine Connolly, cette voix indépendante et farouchement progressiste, a été élue présidente avec un raz-de-marée : 63,4 % des voix, un score inédit depuis la création du poste en 1938. Face à Heather Humphreys, candidate du centre-droit soutenue par le gouvernement en place, Connolly incarne un vent de révolte. Pas de parti dominant, pas de machine électorale huilée : juste une femme de 68 ans, ancienne avocate et députée de Galway-Ouest depuis 2016, qui a su mobiliser les jeunes, les déçus du système et tous ceux qui en ont assez des compromis tièdes. Son discours de victoire à Dublin Castle, sobre et poignant, résonne comme un appel : “Je serai une présidente qui écoute, qui réfléchit et qui parle quand c’est nécessaire. Ensemble, nous pouvons façonner une nouvelle république qui valorise tout le monde.” Pour une Irlande encore marquée par ses luttes anticoloniales, c’est plus qu’une élection : c’est une réaffirmation de l’identité nationale, un refus de l’alignement servile sur les puissances impérialistes. Et pour la Palestine, c’est un espoir tangible.
Rappelons le contexte. L’élection présidentielle irlandaise, le 24 octobre dernier, s’est déroulée dans une atmosphère lourde. Le rôle du président est essentiellement cérémoniel – pas de pouvoir exécutif direct, mais une influence morale immense sur la scène internationale, comme l’ont démontré Mary Robinson ou Michael D. Higgins, prédécesseur de Connolly. Higgins, réélu en 2018, avait déjà transformé Áras an Uachtaráin en bastion de la justice sociale et des droits humains. Connolly, soutenue par Sinn Féin, les Social Democrats, le Labour, les Verts et People Before Profit, prolonge cette lignée. Son programme ? Une voix pour les sans-voix : lutte contre la crise du logement qui ronge l’Irlande (où des milliers de familles dorment à la belle étoile), plaidoyer pour une Irlande unie (Nord et Sud), et une écologie radicale face au réchauffement climatique. Mais ce qui a fait basculer les urnes, c’est son engagement sans faille pour la Palestine. Dans un pays où la reconnaissance de l’État palestinien date de mai 2024 – un geste pionnier en Europe –, Connolly a transformé cette élection en référendum sur la conscience mondiale.
Connolly n’est pas une novice en matière de critique impitoyable. Députée indépendante, elle a siégé comme vice-présidente de la chambre basse (Leas-Cheann Comhairle) jusqu’en 2024, multipliant les interventions cinglantes contre les injustices. Son parcours personnel forge son discours : née en 1957 à Galway, ancienne membre de la Garda Síochána (police irlandaise), elle a quitté l’uniforme pour le barreau, défendant les opprimés avant de plonger en politique. Élue en 2016 sur un ticket anti-establishment, elle a dénoncé la “normalisation de la violence” en Irlande et ailleurs. Lors de sa campagne, elle a visité Belfast en août 2025, appelant à étendre le vote présidentiel aux citoyens du Nord – un “membre amputé” de la République, dixit-elle. À la Foire Nationale de la Charue en septembre, elle a parlé aux ruraux de la précarité agricole, liant cela à une vision globale de justice. Et sur le salaire présidentiel de 330 000 euros ? “Je l’examinerai pour le bien commun”, a-t-elle promis, un clin d’œil à son éthique frugale.
Mais revenons à la Palestine, cœur battant de cette victoire. Connolly n’hésite pas à nommer les choses : le “génocide” à Gaza, l'”apartheid” israélien, la complicité des grandes puissances. Dans un discours en septembre, elle a fustigé les États-Unis, le Royaume-Uni et la France pour leur rôle dans la fourniture d’armes à Israël. “Comment pouvons-nous tolérer que des enfants meurent sous les bombes pendant que nos alliés envoient des missiles ?”, a-t-elle lancé lors d’un meeting à Dublin. Soutenue par des figures comme Mary Lou McDonald de Sinn Féin ou Holly Cairns des Social Democrats, elle a mobilisé une jeunesse irlandaise déjà sensibilisée par les manifestations pro-palestiniennes massives depuis octobre 2023. L’Irlande, avec son histoire de famine et de résistance britannique, voit en Palestine un miroir de ses propres blessures. La reconnaissance de l’État palestinien en 2024, impulsée par le gouvernement, n’était qu’un début ; Connolly veut aller plus loin : sanctions contre les colonies illégales, boycotts des produits des territoires occupés, et pression sur l’Union européenne pour qu’elle cesse son “silence complice”.
C’est là que la critique de l’UE entre en scène, et elle est féroce. Dans une Irlande pro-européenne à 70 %, Connolly ose le blasphème : l’UE est une “machine de guerre” qui s’éloigne de ses idéaux fondateurs. Elle compare les hausses de budget militaire post-Ukraine à “l’Allemagne des années 1930”, un clin d’œil historique qui glace les néolibéraux de Fine Gael et Fianna Fáil. “L’Europe dépense des milliards pour des tanks pendant que Gaza affame”, tonne-t-elle. Sa campagne a mis en lumière le Fonds européen de défense, dont l’Irlande – neutre de tradition – a été forcée d’accepter une contribution minimale. Pour Connolly, c’est une trahison : l’UE, censée unir les peuples, devient un vassal de l’OTAN, finançant indirectement les guerres au Moyen-Orient. Elle dénonce les voyages de presse payés par Israël pour “blanchir” sa propagande auprès des médias européens, citant des enquêtes comme celle de Declassified UK. Et sur Gaza ? “Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide documenté par l’ONU”, martèle-t-elle, appelant à des poursuites contre les complices, de Scholz à Macron.
La guerre, ce fléau que Connolly abhorre, est au centre de son narratif. Fille d’une Irlande sortie du sang des Troubles, elle refuse la “normalisation de la violence” partout où elle sévit. Son élection arrive à un moment critique : Trump, réélu en 2024, bombarde le Yémen pour “soutenir Israël” ; l’UE hausse son budget militaire de 20 milliards d’euros ; et Gaza, après deux ans de blocus et de bombardements, compte plus de 50 000 morts, dont 20 000 enfants. Connolly, qui a soutenu la flottille pour Gaza en 2025 malgré les arrestations, voit dans cette horreur un échec collectif. “La guerre n’est pas inévitable ; c’est un choix des puissants”, dit-elle. Elle critique l’OTAN comme “semeur de chaos”, rappelant l’Irak, la Libye, et maintenant l’Ukraine, où l’escalade européenne “prolonge inutilement la souffrance”. Pour elle, la paix passe par la diplomatie, non par les armes : reconnaissance immédiate de la Palestine, embargo sur les ventes d’armes à Israël, et réforme de l’ONU pour abolir le veto des veto-holders complices.
Cette victoire n’est pas un accident. Les sondages montraient Connolly en tête dès le premier débat, portée par une abstention massive (moins de 50 % de participation) et des bulletins nuls records – signe d’un ras-le-bol face à l’establishment. Humphreys, ex-ministre des Finances, représentait le statu quo : pro-UE, pro-OTAN, tiède sur Gaza. Son retrait anticipé d’un autre candidat, Jim Gavin, a scellé le duel. Les jeunes Irlandais, frappés par le coût de la vie et la crise du logement, ont voté massivement pour Connolly : 75 % des 18-24 ans. Les manifestations pro-palestiniennes, comme celle d’Amsterdam en novembre 2024 où des hooligans pro-Israël ont attaqué des musulmans (avant d’inverser les faits via une désinformation relayée par Starmer), ont cristallisé la colère. Connolly, qui a dénoncé ces “fake news antisémites”, incarne cette vigilance.
Que nous réserve son mandat ? Comme présidente, Connolly n’aura pas de levier direct, mais son influence sera globale. Elle accueillera des chefs d’État avec un regard critique : imaginez Biden ou von der Leyen face à ses questions sur Gaza ! Elle pourrait pousser pour une Irlande unie, en étendant le vote aux Nord-Irlandais, et amplifier la voix palestinienne à l’ONU. Son salaire ? Elle envisage de le reverser à des causes comme les sans-abri ou les réfugiés palestiniens. Et l’Europe ? Connolly, élue dans un pays neutre, pourrait forcer Bruxelles à un sursaut moral : fin du double standard sur les colonies, sanctions réelles contre les crimes de guerre.
Cette élection est un message au monde. L’Irlande, petite île de 5 millions d’habitants, montre que la gauche peut triompher sans compromettre ses valeurs. Soutenir la Palestine n’est pas “radical” ; c’est humain. Critiquer la guerre et l’UE n’est pas anti-européen ; c’est pro-paix. Connolly, avec son accent galwayien et son regard d’acier, nous rappelle que la politique n’est pas un jeu d’élites, mais un combat pour la dignité. Pour les Palestiniens assiégés à Gaza, pour les Irlandais en colocation forcée, pour tous les opprimés : c’est une victoire collective. Free Palestine. Long live Ireland.
